LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DU SERVICE PUBLIC (LOIS DE ROLLAND)
SECTION 1 : LES PRINCIPES FONDAMENTAUX DU SERVICE PUBLIC
Les lois de Rolland sont les principes fondamentaux qui s’appliquent à tous les SP (services publics) sans exceptions, que ce soient des SPA ou des SPIC, quel que soit le droit applicable y compris s’il est privé, quelle que soit la personne gestionnaire y compris si elle est de droit privé.
Décision : CC, 26 juin 1986.
Ces principes fondamentaux du droit du SP introduisent le droit public dans la gestion des SP. On compte 3 principes : continuité, égalité et mutabilité (adaptabilité). On ajoute parfois la laïcité et/ou la neutralité des SP (loi contre le séparatisme de 2021). Le CC n’ignore pas ces principes et parle du bon fonctionnement du SP et mentionne les principes constitutionnels du SP.
Décision : CC, 31 juillet 2003 mentionne les exigences du SP.
1. La continuité des services publics
La continuité est très évidemment une notion de droit constitutionnel. La Constitution mentionne la continuité de l’État au titre des missions imparties au président de la République dans son Art. 5. L’Art. 16 de la Constitution est la version de crise de l’Art. 5 et les pouvoirs exceptionnels attribués au président de la République ont pour objet de permettre une continuité de l’État.
Décision Maastricht II : CC, 2 septembre 1992. Il y a impossibilité de réviser la Constitution dans la période des circonstances exceptionnelles de l’Art. 16.
Décision : CC, 30 décembre 1979, au sujet de la mise en échec de la loi de finances pour 1980 et l’obligation où le législateur s’est trouvé de prendre une législation spéciale. Cette loi de finances d’exception non prévue par l’ordonnance de janvier 1959 est-elle constitutionnelle? Le CC adopte un contrôle de constitutionnalité particulièrement constructif afin de défendre la continuité de l’État et notamment des dépenses publiques. « Considérant que, dans cette situation et en l’absence de dispositions constitutionnelles ou organiques directement applicables, il appartient, de toute évidence, au Parlement et au Gouvernement, dans la sphère de leurs compétences respectives, de prendre toutes les mesures d’ordre financier nécessaires pour assurer la continuité de la vie nationale », c’est-à-dire la continuité de l’État.
Décision : CC, 22 mai 1985, abolition de la peine de mort. Le CC évoque la « continuité de la vie de la nation ».
Arrêt Bonjean
CE, 30 juin 1980. Il mentionne la continuité du SP comme un principe fondamental alors qu’on était en présence d’un principe général.
La notion de fondamentale renvoie à la Constitution en tant que loi fondamentale. La continuité du SP se pose depuis le début du XXème siècle
Arrêt Winkell : CE, 7 août 1909 aux conclusions André Tardieu qui dit que « La continuité est donc de l’essence du service public. ». Par son acceptation de l’envoi qui lui a été conféré, le fonctionnaire s’est soumis à toutes les obligations dérivant des nécessités relevant du SP. Cela signifie que le fonctionnaire, agent du SP qui se met en grève entre en rébellion contre l’État et qu’il est ainsi susceptible d’être révoqué de la fonction publique et que du reste cette révocation est dispensée de l’exercice des droits de la défense.
Le premier statut général de la fonction publique est institué sous le régime de Vichy en 1941. La situation change avec le préambule de la Constitution de 1946 en tant qu’il prévoit que le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent. Le préambule permet le droit de grève dans la fonction publique, c’est-à-dire qu’il y a un statut général de la fonction publique qui prévoirait ce droit, ce que la jurisprudence du CE refusait.
Arrêt Dehaene
CE, 7 juillet 1950 aux conclusions F. Gazier. Ce dernier pose la question de la consécration de « la notion d’État à éclipse », c’est-à-dire cette possibilité d’un État éclairé dans la continuité du SP et éteint dans l’exercice du droit de grève.
Il a appartenu au CE d’opérer une conciliation entre des normes qui peuvent sembler être assez distantes les unes des autres : le droit de grève (résultant du préambule de 1946) et la continuité du SP (PGD qui d’impose à l’administration). La condition est celle d’un service minimum dans les parties les plus importantes des services en place. Les arrêts Labonne (1919) ou Jamart (1936) consacre l’hypothèse d’un pouvoir réglementaire autonome qui compense l’insuffisance du pouvoir législatif.
Décision : CC, 25 juillet 1979. Il reprend la construction de l’arrêt Dehaene en remontant d’un cran les normes opposables et opposées. Il concilie les deux principes : le droit de grève qui est un principe de valeur constitutionnelle et la continuité du SP qui est un principe de valeur constitutionnelle.
La thématique de la conciliation est sans doute davantage idéologique ou sociologique qu’elle n’est juridique. Il apparait difficile de concilier les contraires car la grève est une hypothèse de discontinuité. On comprend bien aussi que cette hypothèse de la grève se pose de façon toute particulière dans le champ du droit public, en particulier dans le champ du droit administratif qui est après tout celui des SP. Au surplus, la question se pose différemment si c’est un SPA ou un SPIC, gérés par une personne publique privée. En quelque sorte, cette thématique de la conciliation doit être replacée dans le contexte juridique qui est le sien.
DEUX HYPOTHÈSES :
- La continuité peut être un absolue sans conciliation, c’est l’hypothèse de l’interdiction du droit de grève.
- La continuité peut être privilégiée, auquel cas elle est en effet relative mais elle emporte ce qui est l’hypothèse du service minimum.
En l’absence de législation, le droit de grève sera soumis à des réglementations d’organisation ou de fonctionnement du service sur le fondement du pouvoir réglementaire autonome tel que celui-ci s’exprime sur le fondement de la solution de principe (CE, 7 février 1936, Jamart ; illustration : CE, 7 juillet 1950, Dehaene).
L’interdiction de la grève est retenue par le législateur lorsque le SP joue un rôle essentiel dans la garantie de l’existence de l’État en faveur de l’ordre ou de la sécurité publics mais aussi en faveur des libertés publiques.
Tel est le cas en matière de défense, des militaires (loi du 24 mars 2005), en matière de magistrature (ordonnance du 22 décembre 1958) encore que seule la magistrature judiciaire soit soumise à cette interdiction de la grève dans le cadre du statut général de la magistrature (la magistrature administrative n’est pas incluse à l’exception des membres du CE qui n’ont pas la qualité de magistrat), en matière de santé (continuité de l’État n’est pas exactement la vie publique ou nationale).
L’ordonnance du 6 août 1958 interdit la grève aux gardien de prison. La loi 31 juillet 1968 l’interdit au personnel des services d’infirmation et de communication du ministère de l’intérieur.
S’agissant de la police, la police nationale est autorisée à faire la grève. Mais les CRS créés par la loi du 27 décembre 1947 n’ont pas le droit de grève. Lorsque la situation de déstabilisation politique connue par la IVème République en mai 1947 deviendra possible, alors la reprise en main de la police par la loi du 28 septembre 1948 permettra l’interdiction de la grève dans le police nationale même si on préserve l’existence des CRS.
L’interdiction de la grève par le législateur en résumé va correspondre à quelques missions privilégiées de PP qui ne sont pas nécessairement des missions de souveraineté de l’État, par exemple les missions de la PA peuvent être des missions décentralisées dans le cadre de la police municipale, de la même façon que dans le champ des ambassades et des consulats, en général des postes diplomatiques. La situation n’est pas correctement encadrée car il y a eu beaucoup de grèves en 2001. On a un droit législatif qui n’est pas clair, cohérent, systématique, qui ouvre des possibilités de grève là où on n’attendrait un absolu de continuité sans que le législateur se soit engagé à combler ces lacunes. Jamais nous avons eu une législation qui réglemente de façon générale et absolue le droit de grève dans la fonction publique.
La logique du service minimum est différente car elle se place dans le relatif. On impose une continuité minimale sans que ce soit excessif. On a une hypothèse législation par législation. La loi du 25 juillet 1980 est relative aux agents des établissements en matière nucléaire. Celle du 31 décembre 1984 est relative aux agent de navigation. La loi du 30 septembre 1986 est relative aux agents de la communication audiovisuelle. Ces législations sont assez couramment des législations de réaction à des mouvements sociaux qui ont pu faire apparaitre des situations excessives et insuffisamment encadrées. Il est assez remarquable que les contestations de ces législations sur le service minimum sont rares, lorsqu’elles existent elles sont de nature à conforter la législation. L’ouverture du recours en inconstitutionnalité par la QPC va conduire à la remise en cause de législation en place.
Les hypothèses de législation peuvent évoluer. On peut avoir le passage d’un système d’interdiction à un système de service minimum, même si la continuité du SP reste privilégiée (Art. L. 6112-2 du Code de la santé publique). Cela vaut autant pour les établissements publics que pour les établissements privés de santé. Il y a au surplus, en arrière fond, une sorte de filet de sécurité qui tient au droit de la réquisition des personnes, légalement encadrée, qui par exemple trouve à s’appliquer dans le droit de la santé publique (Art. L. 4133-7).
De façon remarquable, ce droit du service minimum est en expansion alors que le droit de l’interdiction est en stabilisation. Assez fréquemment, des législations apparaissent en réponse à des conflits. La RATP peut avoir des mouvements sociaux qui perturbent l’activité économique et qui ne peuvent pas être réglés par le seul moyen des réquisitions préfectorales (CE, 27 octobre 2010, Fédération nationale des industries chimiques CGT) car il y a un risque de mise en échec de la réquisition malgré l’existence de sanctions pénales qui s’attachent au refus de déférer à la réquisition.
Arrêt : CE, 8 mars 2006 relatif à la RATP (EPIC). Le CE indique que l’obligation de continuité du SP au titre d’un PGD n’implique pas nécessairement la mise en place d’un service minimum. Il laisse ouvert d’autres possibilités pour préserver le dialogue social que l’interdiction (loi) ou le service minimum (loi ou règlement), afin de maintenir la continuité du SP.
La loi du 21 août 2007 propose une solution en dehors de interdiction et du service minimum : la procédure de négociation préalable à l’exercice du droit de grève. La loi du 31 juillet 1963 prévoit un délai de 5 jours entre le préavis et le début de la grève. Ce délai général est porté à 13 jours par exception afin de mieux garantir les droits des usagers, c’est-à-dire pour prévenir à l’avance les usagers et permettre une solution par un dialogue social. Les accords de prévisibilité du service déterminent les dessertes prioritaires au sein même du réseau de transport public au profit de certaines lignes ou stations en fonction du besoin des usagers. Après 8 jours, il peut y avoir un vote pour continuer cette grève. Cette législation est peu contraignante et ne gêne pas tellement les syndicats professionnels.
La loi du 20 août 2008 institue un droit d’accueil pour les écoles et instaure une obligation pour les communes d’accueillir les enfants dans ses établissements qui sont dans leur champ de compétences en cas de grève dans l’établissement scolaire pour assurer une garderie et assurer entre la garderie du matin et celle de l’après midi une cantine scolaire.
L’ensemble de cette construction est en réalité à tiroirs multiples car elle passe par la loi ou le règlement. Il peut y avoir une loi d’interdiction, de service minimum ou une législation tierce. La réglementation peut être d’interdiction sous un contrôle normal du juge administratif pour certains personnels ou activités dans certaines conditions ou de service minimum voire une réglementation tierce. Il y a cependant une difficulté contentieuse car la solution indiquée montre bien la marge d’action qui appartient au statut ou au contrat, dans le champ du droit public sous le contrôle du CE, ou dans le champ du droit social sous le contrôle de la CCASS parce que le droit des SP n’est pas nécessairement un droit public (CE, 22 janvier 1921, Bac d’Eloka).
Arrêt Époux Barbier : TC, 15 janvier 1968. On peut avoir une société, en l’espèce Air France
(SA), qui gère un SPIC et qui dans le cadre du SPIC impose des réglementations statutaires que le TC accepte de voir placer dans le champ du droit administratif.
Nous savons que l’acte administratif n’est pas nécessairement produit par l’administration mais nécessairement produit dans le champ du droit administratif, que ce soit par une personne privée ou lorsque ce n’est pas un SPA mais un SPIC.
Arrêt Syndicat unifié des techniciens de la RTF : CE, 4 février 1966. La loi du 31 juillet 1963 n’est pas la législation générale et unique de sorte que cet arrêt admet dans le prolongement de Jamart et de Dehaene des réglementations du droit de grève en dehors de 1963.
Arrêt : Cass. soc., 7 juin 1995. De la même façon, la Cass admet que le pouvoir de réglementation dans une entreprise ou les conventions collectives peuvent préciser le droit de grève.
La législation ne suffit pas à encadrer ce droit dans le champ du SP.
Décision transports terrestres réguliers de voyageurs : CC, 16 aout 2007. Mais le CC a une position différente, il dit sur la base du préambule de 1946 que c’est le législateur qui réglemente le droit de grève et qu’il est ici dans une situation de compétence exclusive (le seul à pouvoir le faire).
Dans cette discussion contentieuse, il faut aussi prendre en compte la théorie des circonstances exceptionnelles, mentionnée par Casanova et explicité par deux arrêts (CE, 28 juin 1918, Heyriès ; CE, 28 février 1919, Dames Dol et Laurent).
Arrêt Heyriès : CE, 28 juin 1918. « Considérant qu’il incombe [au président de la République], dès lors, de veiller à ce qu’à toute époque les services publics institués par les lois et règlements soient en état de fonctionner, et à ce que les difficultés résultant de la guerre n’en paralysent pas la marche ; […] Qu’à raison des conditions dans lesquelles s’exerçaient, en fait, à cette époque, les pouvoirs publics, il avait la mission d’édicter lui-même les mesures indispensables pour l’exécution des services publics placés sous son autorité. »
Arrêt Marion : CE, 5 mars 1948. On a la théorie du fonctionnaire de fait, son acte étant administratif. Un citoyen se place dans une situation de fonctionnaire, dans des circonstances exceptionnelles et s’investie de l’autorité publique, se substitue à l’autorité communale défaillante en l’espèce dans le contexte de l’exode de 1940. Si une autorité publique de fait s’impose, les actes qu’elle prend sont administratifs. Dans ce contexte, les circonstances exceptionnelles sont liées à la continuité des SP.
On est ici du reste au point de conjonction d’une jurisprudence importante du droit de la responsabilité administrative.
Arrêt Commune de Saint-Priest-la-Plaine : CE, 22 novembre 1946. Au sujet du collaborateur occasionnel et bénévole du SP qui dans cette situation se voit privilégié parce qu’il est en situation d’émettre de la légalité administrative mais il bénéficie aussi d’un régime protecteur. Nous somme en présence d’une responsabilité sans faute pour risque. La responsabilité de la PP sera engagée si le lien de causalité est constant entre le fait et le dommage.
EXEMPLE : Il y a un accident de la route alors qu’un particulier régule le traffic de la route. Il s’investit d’une mission de police administrative, les actes qu’il prend sont des actes de PA. C’est donc une responsabilité sans faute pour risque.
Cette théorie des circonstances exceptionnelles est confortée par des législations particulières qui participe à la continuité du SP (Art. 36 de la Constitution sur l’état de siège ; loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence sécuritaire ; loi du 23 mars 2020 relative à l’état d’urgence sanitaire). On a également l’Art. 16 de la Constitution qui permet au président de la République d’exercer des pouvoirs étendus en raison de circonstances exceptionnelles. Cet article a été appliqué qu’une seule fois en 1961 par Charles de Gaulle pendant la guerre en
Algérie.
Mais cette thématique traverse tout le droit administratif, notamment le droit des contrats administratifs (CE, 30 mars 1916, Compagnie générale d’éclairage de Bordeaux). Le point limite étant que l’événement n’est pas seulement imprévisible ou extérieur, mais aussi irrésistible, on rencontre alors la force majeure (CE, 9 décembre 1932, Compagnie des Tramways de Cherbourg). Le droit est particulièrement sensible à la continuité. On la trouve aussi dans la volonté de stabilisation des relations contractuelles car le juge peut annuler et réformer l’acte administratif lorsqu’il est saisit par une partie au contrat.
Le juge de plein contentieux peut ne pas retenir la nullité du contrat lorsque le vice n’est pas d’une gravité particulière (défaut de consentement des parties au contrat). S’il n’est pas substantiel, le contrat sera préservé. Par exemple, le défaut de transmission au préfet est une irrégularité (CE, 28 décembre 2009, Commune de Béziers I). Cet objectif de poursuite du contrat permet la reprise des relation contractuelles sur une décision du juge en cas de résiliation unilatérale par l’administration (CE, 21 mars 2011, Commune de Béziers II). Cela nous dit la force de ce principe de continuité.
2. L’égalité devant les services publics
C’est une déclinaison du principe de légalité tel que c’est un principe constitutionnalisé. Les hommes naissent et demeurent égaux en droits de la même façon que l’Art. 6 de la DDHC insiste sur l’égalité devant la loi. Le CC a eu la possibilité de dire que le principe d’égalité devant le SP est le prolongement du principe d’égalité devant la loi (CC, 29 juillet 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice ; CC, 16 juillet 2009, Loi portant réforme de l’hôpital ; CC, 27 juin 2001, IVG II).
Ce faisant, le CC n’a fait que reprendre la construction du CE. On retrouve le schéma conçu dans le principe de continuité. Le CE a fait du préambule de 1946 un dispositif normatif. La DDHC qui était sortie du camp de la normativité en 1792 est alors réapparue. Elle est réintégrée par la jurisprudence du CE qui en retient son caractère supraréglementaire (CE, 7 juin 1957, Condamine).
Décision Loi de finances pour 1974 : CC, 27 décembre 1973. C’est précisément cette solution en faveur de l’égalité devant le SP qui est reprise par le CC. C’est l’égalité devant l’impôt et le refus d’une taxation d’office à l’encontre des riches.
Dans le droit public
La rupture n’est pas en 1958 mais en 1946, c’est une rupture constitutionnelle et administrative. En 1946, c’est une République parlementaire, ce qui n’est pas le cas de la IIIème République). Ce régime parlementaire est rationalisé, c’est un régime qui privilégie l’exécutif et le chef du gouvernement. C’est la même chose en 1958. 1946 c’est le monisme juridique, un seul droit qui prend en compte ses sources externes et un droit qui se mobilise autour des libertés fondamentales qui sont la trame de la DDHC, des PFRLR et des PPNT. Le droit public français se reconstruit sur cette base dans un espace de temps extrêmement restreint. Il y a la continuité du SP (CE, 7 juillet 1950, Dehaene) et l’égalité devant le SP (CE, 19 mars 1951, Société des concerts du conservatoire). Le principe d’égalité régit le fonctionnement des SP.
Notion de SP
Du reste, lorsque le CE avait consacré la continuité des SP (CE, 7 juillet 1950, Dehaene), il n’avait pas exposé qu’on était en présence d’un PGD. Il faut attendre l’arrêt Syndicat général des ingénieurs-conseils (1959) pour retrouver la notion explicite de PGD en les inscrivant dans le champ du préambule de la Constitution. La Constitution de 1958 dit que ce qui n’est pas dans le domaine d’attribution de la loi est dans le domaine de la réglementation (Art. 34 et 37).
Avec l’accroissement de la réglementation, il y a lieu pour le CE de développer les modalités du contrôle de cette réglementation, par le respect de la loi lorsque cette réglementation est dérivée. Mais elle peut être autonome, il va bien alors falloir opposer une normativité supra-réglementaire, que l’on trouve dans ces nouveaux PGD. Tout ceci se passe pendant cette période de résurrection de la notion de SP et d’expansion du droit administratif avec les arrêts de définition que sont notamment Effimieff (1955), Consorts Grimouard (1956), Époux Bertin (1956), Société « Le Béton » (1956)…
Cette notion de SP n’est pas seulement juridique mais aussi sociologique ou idéologique.
Le SP continu est aussi un SP assuré ou assumé de façon indifférenciée pour tous dans les mêmes conditions. Ceci vaut lorsque l’on est dans le SPA ou dans le SPIC.
S’agissant des SPA, cette situation d’égalité vaut dans le recrutement des agents publics : égale admissibilité aux emplois publics, volonté révolutionnaire de mettre fin aux charges et à la vénalité des charges avec la formule de la DDHC.
Art. 6 de la DDHC : « Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
Cela est aussi vrai dans le contrat (CE, 7 août 1909, Winkell) ou bien dans la question du statut des agents publics (CE, 22 octobre 1937, Demoiselle Minaire et autres), le statut devenant le principe par rapport au contrat.
Arrêt Barel
CE, 28 mai 1954. Cet arrêt interdit dans les concours de fonction publique que soit prise en compte l’opinion des candidats, notamment politique. Sans que l’on sache très exactement à quoi correspond cet ordre public, si ce n’est que le droit pénal nous en donne une expression.
Arrêt Société des concerts du conservatoire : CE, 19 mars 1951. Cet arrêt est particulièrement intéressant car il ne se place pas dans le champ du SPA mais dans celui du SPIC avec cette radio diffusion française qui est en la forme d’un EPIC qui évoluera vers des formes de société.
Comme le principe d’égalité devant la loi, le principe d’égalité devant les SP prohibe les discriminations qui ne reposent pas sur des différences objectives entre les usagers et en rapport avec l’objet du service (pas un principe de non discrimination). L’égalité est un principe qui ne saurait signifier l’accès au SP identique pour tous et pour deux raisons.
L’égalité devant le SP renvoie vers l’égalité en droits.
Dans son rapport de 1996, le CE dit que « l’égalité des droits peut aller de paire avec l’inégalité de fait ». Il va jusqu’à dire que « le principe d’égalité n’atteint réellement son but que s’il est aussi le vecteur de l’égalité des chances ». Pour le CE, la vie en société est un grand loto. C’est sans doute excessif mais il y a du vrai dans cette idée que l’égalité ne signifie pas l’égalitarisme et l’égalité en droits ne signifie pas que tous soient traités de la même façon. Ceux dans la même situation sont traités de la même façon mais tout le monde n’est pas dans la même situation.
Décision : CC, 22 aout 2002. « Considérant, en second lieu, que le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit », ce qui signifie que le principe d’égalité devant le SP se réduit à l’égalité de traitement de tous ceux qui sont objectivement dans une situation identique.
Décision Mr. Orient : CC, 9 juillet 2010. Au sujet des gens du voyage et notamment de cette prescription qui obligeait ces gens à détenir un carnet de circulation sur le territoire national.
La distinction repose sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec le but assigné par le législateur.
La question de l’égalité rencontre assez volontiers la question de la tarification différenciée dans les SP. L’accès aux SP se fait dans des conditions différenciées, notamment de prix, alors même qu’il s’agit de l’accès à un même SP. La question est particulièrement abordée en ce qui concerne la tarification des cantines scolaires, en fonction du revenu fiscal des parents. A travers la fiscalité, on a un exemple supplémentaire de solidarité (forcée) entre les parents de ces enfants.
Arrêt Denoyez et Chorques : CE, 10 mai 1974. Le bac de l’île de Ré est pris en charge par le département de la Charente maritime. Nous avons ainsi un SP d’un bac qui est pris en charge par une personne publique, ceci a tout de même un parfum de Bac d’Eloka mais cette solution est en faveur du SPA et non du SPIC parce que nous avons une présomption de SPA qui n’est pas inversée dans les circonstances d’USIA.
Il y a une tarification différenciée : un tarif extérieur à la Charente maritime, un tarif pour les habitants de la Charente maritime et un tarif pour les résidents de l’ile de Ré (3 tarifs). Les habitants de l’île, les résidents permanents et ceux qui ne sont pas des résidents permanents sont dans une situation objectivement différenciée. C’est une différence de situation entre les résidents permanents et ceux qui ne sont pas des résidents permanents. Autrement dit il y a 2 tarifs : le tarif normal et un tarif spécifique pour les résidents domiciliés dans l’île et bénéficiant d’un tarif réduit.
Décision : CC, 12 juillet 1979. Le CC reprend la solution Denoyez et Chorques au sujet de ponts à péage ayant à connaitre d’une loi relative aux routes construites au dessus des estuaires.
On a une application différenciée dans Denoyez et Chorques, qui n’est pas le premier arrêt de la jurisprudence (CE, 22 décembre 1911, Chomel ; CE, 25 juin 1948, Société du journal
« L’Aurore » ; CE, 6 janvier 1967, Ville d’Elbeuf). Il résulte de cette jurisprudence que 3 exceptions sont possibles.
3 EXCEPTIONS :
- Loi qui s’impose au juge administratif (CC, 12 juillet 1979). C’est une hypothèse législative d’exception au principe d’égalité ou d’aménagement du principe dans le cadre de cette discrimination. La construction de la jurisprudence administrative se fait sous la contrainte constitutionnelle.
- Les différences de situation entre les usagers doivent être « appréciables » (CE, 10 mai 1974, Denoyez et Chorques), C’est la marge du juge dans le cadre de son contrôle normal. Ce qui importe c’est l’objectivité (CE, 1er février 1985, Union départementale des consommateurs de Paris). Lorsque les discriminations sont opérées dans le cadre d’un principe constitutionnel (Art. 1 & 6 de la DDHC et Art. 1 & 2 de la Constitution). Il faut que les discriminations ne soient pas liées à des distinctions contraires à l’ordre public. L’Art 1er de la Constitution renvoie à l’origine, la race ou la religion (et non au sexe). Est illégale une discrimination dans un règlement sportif qui limite l’accès au compétitions lorsque les joueurs concernés sont naturalisés car ils sont des français à part entière avec les mêmes droits et devoirs (CE, 23 juin 1989, Bunoz).
- L’impératif d’intérêt général (pas tous). Il s’agit d’un intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation du service qui tient en particulier à la caractérisation du service et/ou à la personne gestionnaire du service. Au Musée du Louvre, la tarification peut être différente lorsque les visites du musées sont groupées car cela permet une meilleure organisation et fluidité (CE, 28 février 1996, Établissement public du Musée du Louvre). C’est la problématique de la proportionnalité dans la discrimination tarifaire (CE, 13 octobre 1999, Compagnie nationale Air France).
Cette différence s’opère pour tous les SP et SPIC car ils sont développés sur un marché concurrentiel
Avis TGV Nord : CE, 24 juin 1993. Pour les SPIC : la SNCF applique des tarifs différenciés au TGV-Nord selon les jours, heures d’utilisation des TGV afin de favoriser l’utilisation dans des jours ou heures moins chargés.
Cette hypothèse de tarification trouve aussi à s’appliquer aux SPA même si on comprend bien qu’on est dans une situation plus critiquable car on est en dehors de préoccupations touchant au marché concurrentiel. Il peut s’agir de considérations d’ordre fiscal, d’ordre social (CE, 20 janvier 1989, Centre communal d’action social de La Rochelle ; CE, 26 avril 1985, Ville de
Tarbes au sujet d’un conservatoire de musique).
Arrêt Commissaire de la République du département de l’Ariège : CE, 5 octobre 1984. Au sujet de la tarification différenciée dans les cantines d’une commune qui se fait en fonction des revenus des contribuables (ordre fiscal).
Des limites on été établies par la jurisprudence qui recoupent la thématique de l’objectivité : les différenciations ne peuvent pas être telles que le prix le plus élevé ne peut excéder le coût moyen des prestations fournies dans le cadre du service (CE, 29 décembre 1997, Commune de Gennevilliers). Cette jurisprudence a été consacrée dans l’Art. 147 de la loi du 28 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions.
3. La mutabilité des services publics
À la diff du principe de continuité et d’égalité, la mutabilité des SP ne relève pas d’un PGD dans la jurisprudence du CE même si en cherchant bien on trouve un arrêt (CE, 8 avril 2009, Compagnie générale des eaux et commune d’Olivet) qui mentionne un principe de mutabilité. Ce principe exprime la modernité remarquable du droit administratif, c’est-à-dire cette capacité de s’adapter aux changements de circonstances. En réalité, c’est insister sur le lien qui existe entre la mutabilité et la continuité. La mutabilité du SP c’est la possibilité d’assurer la continuité du SP dans le temps. Le point d’application est le droit des concessions de SP.
Arrêt Compagnie du gaz de Bordeaux : CE, 24 décembre 1897. Le CE fait prévaloir la stabilité du contrat de concession. En réalité, le contrat de concession est traité comme le contrat signé. Le contrat fait l’obligation réciproque des parties au contrat tenues par ses termes. Il y a une possibilité d’évolution du contrat par l’accord des parties (CE, 23 janvier 1903, Compagnie des chemins de fer économiques du Nord).
Arrêt Compagnie nouvelle du gaz de Deville-lès-Rouen
CE, 10 janvier 1902. C’est un revirement de la jurisprudence Compagnie du gaz de Bordeaux. Elle s’inscrit dans l’émergence de la notion de SP à travers la concession d’un SP. Il est à l’origine de la mutabilité du contrat de concession. Dans le cadre de cette jurisprudence, la commune peut s’adresser régulièrement à une autre société à raison du refus du concessionnaire d’accepter cette mutation du SP dont il avait auparavant l’exclusivité.
La mutabilité liée à la continuité décale ce droit des concessions du SP de l’atmosphère civiliste par la prise en considération de la PP et de la nécessité d’ajustement à raison de ces considérations de PP qui sont ici organiques mais aussi matérielles.
Arrêt Compagnie générale française des tramways : CE, 21 mars 1910. Le CE admet le pouvoir de modification unilatérale du contrat de concession indépendamment de la volonté des parties, c’est-à-dire en particulier la capacité de la commune de modifier le contrat. Le concessionnaire doit prendre en compte cette modification qu’il n’a pas à accepter. En l’espèce, il y a une modification des horaires des tramways de Marseille qui est imposée, c’est une PPP car c’est une modification unilatérale.
Les usagers du SP ne bénéficient d’aucun droit au maintien de la caractérisation du SP (qu’il soit un SPA ou un SPIC). S’il y a une mutabilité du SP, elle n’entre pas dans la question de savoir quelle est sa nature. Au demeurant, le SP peut être à tout moment supprimé par l’autorité administrative compétente (CE, 27 janvier 1961, Vannier). L’usager d’un SPA n’a pas le droit au maintien du SP (CC, 26 mars 2003, Révision constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République).
4. Les autres principes du service public
La question dans la doctrine est de savoir s’il n’existerait pas d’autres principes que la continuité, égalité et la mutabilité, à supposer que la mutabilité soit vraiment un principe. De nombreuses tentatives ont été faites en ce sens : un principe degratuité des SP, en tout cas administratifs, en tout cas lorsqu’ils sont pris en charge en régie par l’État ou une collectivité territoriale alors même que jamais la jurisprudence du CE n’a retenu ce principe de gratuité malgré l’al. 13 du préambule de 1946. Il y a bien cette notion de gratuité rapportée à l’enseignement public mais ni le CE, ni le CC n’a retenu ce principe.
EXEMPLE : Une législation qui prévoit la gratuité de l’enseignement lorsqu’il est obligatoire et public aux conditions de l’Art. L.132-1 du Code de l’éducation.
EXEMPLE : La loi retient la gratuité de l’accès et de l’usage des infrastructures routières ou autoroutières : Art. L.1424-42 du Code général des collectivités territoriales.
Mais il est vrai aussi (faiblesse du principe de gratuité) que nous avons des législations qui prévoient le paiement de sommes facturées dans le cas du recours à des SPA.
Arrêt Ville de Versailles
CE, 5 décembre 1984. La loi du 9 janvier 1984 permet aux communes concernées d’obtenir le remboursement par les personnes secourues en montagne à raison des frais engagés pour leur porter secours. Cette jurisprudence milite en faveur de l’absence de ce principe de gratuité en tant que PGD ou en tant que principe de valeur constitutionnelle.
Ces législations ou jurisprudences sont en réalité exceptionnelles dans la mesure où en principe les SPA, dans l’intérêt général, financés sur fonds public, ne font pas l’objet de demandes de remboursement de facturation. Cette jurisprudence est très fréquemment liée à la notion d’intérêt général qui s’attache au SP, c’est la dimension fonctionnelle ou matérielle qui prévaut.
La neutralité du SP est liée à l’égalité devant le SP
Il s’agit d’interdire à la personne gestionnaire de faire varier la délivrance du SP en fonction de l’appartenance politique, religieuse ou philosophique des agents (CE, 28 mai 1954, Barel) ou usagers du SP (CE, 23 juin 1989, Bunoz).
Décision Loi relative à la liberté de communication : CC, 18 septembre 1986. Il y a un pluralisme dans le SP de la communication audiovisuelle. Le CC, en faveur de ce pluralisme, s’appuie sur cette thématique de la neutralité.
Le CE continue de retenir ce principe de neutralité (CE, 8 novembre 1985, Rudent sur l’atteinte à la neutralité du SP ; CE, 27 juillet 2005, Commune de Sainte-Anne).
On a donc en réalité un principe de neutralité du SP auquel se rattache le principe de laïcité qui est après tout une hypothèse de neutralité lorsqu’elle se rattache aux opinions religieuses. On trouve une base constitutionnelle qui dérive du principe d’égalité (Art. 1er de la Constitution), en précisant que la République respecte toutes les croyances (CE, 16 mars 2005, Ministre de l’outre–mer ; CC, 22 octobre 2009, Loi tendant à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées).
On a bien une affirmation du principe de laïcité en complément d’un principe de neutralité en tant que déclinaison d’un principe d’égalité. Il y a une différenciation subtile entre le culturel (admis) et le cultuel (écarté au sujet de l’installation d’une crèche de Noel dans des espaces publics : CE, 9 novembre 2016, Commune de Melun). La loi du 24 août 2021 conforte le respect des principes de la République, dont les principes de laïcité et de neutralité du SP : Art. 1er al. 1 & Art. 4 du décret d’application du 23 décembre 2021.