TD n’17 de Droit constitutionnel
Les liens organiques entre le gouvernement et le parlement
Dissertation : Les mécanismes de mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement
« L’analyse révèle que le recours à l’article 49 alinéa 3 a changé de signification au fil du temps, et que les ressources du parlementarisme rationalisé ont été utilisés à des fins étrangères à leur finalité originelle » a indiqué Pierre Avril, Docteur en droit de la Faculté de droit de Paris en 1962 ayant comme sujet de thèse L’évolution politique et constitutionnelle de la Cinquième République et professeur de droit public, spécialiste du droit constitutionnel.
Ce que sous-entend Pierre Avril, c’est que les mécanismes de mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement sont utilisés par la pratique, pour mettre en jeu vraisemblement la responsabilité politique de l’Assemblée nationale. Il considère qu’il y a inversion de la responsabilité. Par exemple, selon lui, l’application de l’article 49 alinéa 3 a répondu à trois fonctions : faire pression sur la majorité, lutter contre l’obstruction et se substituer à l’absence de majorité. Ça ne devait pas être la fonction de cette disposition constitutionnelle.
Les mécanismes, ici, sont des dispositions constitutionnelles qui déterminent les moyens pour mettre en jeu la responsabilité du gouvernement. Les mécanismes sont réglés par l’article 49 aux alinéas 1, 2 et 3. L’article 49 alinéa 1 porte sur l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale. L’article 49 alinéa 2, quant à lui, porte sur le dépôt d’une motion de censure à l’initiative des députés. Enfin, l’article 49 alinéa 3, communément appelé 49.3, porte sur l’engagement de la responsabilité du gouvernement sur le vote d’un texte.
La mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement est un moment au cours duquel le gouvernement doit avoir la confiance de l’Assemblée nationale, dans le cas contraire, le gouvernement doit démissionner. Le gouvernement comprend le Premier ministre, les ministres, les ministres, les ministres délégués et les secrétaires d’État. Le gouvernement est collectivement et solidairement responsable devant l’Assemblée nationale.
Le Président de la République nomme le Premier ministre et nomme les ministres sur proposition du Premier ministre. Le Président de la République et le Premier Ministre sont à la tête du pouvoir exécutif, c’est un pouvoir exécutif bicéphale.
Cependant, lorsque que la majorité présidentielle et parlementaire coïncident, le véritable chef de l’Exécutif est le Président de la République, certains parlent même d’un Premier ministre bis. Mais le Premier ministre reste chef du Gouvernement et responsable de sa politique devant l’Assemblée nationale
Les mécanismes de mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement dans la Vème République sont strictement réglementés. C’est ce qu’on appelle le parlementarisme rationalisé. Le parlementarisme rationalisé est un ensemble de techniques de droit constitutionnel qui vise à éviter une trop grande instabilité gouvernementale dans un régime parlementaire qu’ont connu par exemple la IIIème et la IVème République, rationalisation qui a d’ailleurs commencé dès 1954 dans la IVème République.
C’est l’objectif voulu de la Constitution de la Vème République qui est le fruit d’un compromis dilatoire selon le constitutionnaliste, théoricien et professeur de droit Carl Schmitt. Les « Compromis dilatoires » de Carl Schmitt sont des rédactions acceptables sur le moment par des acteurs qui dissimulent des arrière-pensées contradictoires. Le cœur de la contradiction était que pour les uns que le gouvernement devait rester parlementaire d’où le maintien de la responsabilité, et que pour le général De Gaulle le gouvernement devait être celui du Président de la
République d’où incompatibilité d’être simultanément député et ministre et le fait que c’est le Président de la République ait la présidence du conseil des ministres. Cependant, en 1962, lors du référendum portant sur l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, ses compromis dilatoires se sont dissipés du moins dans la pratique. Depuis ce référendum, la prépondérance institutionnelle est accordée au Président de la République à tel point qu’on parle de régime parlementaire dualiste à captation présidentielle comme l’a déclaré le Professeur de droit public, spécialisé en droit constitutionnel, à l’Université Paris-Panthéon-Assas Armel Le Divellec. De ce fait, les mécanismes de mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement ont été instrumentalisés au bénéfice du gouvernement qui exécute la politique voulue par le Président de la République.
En effet, la pratique institutionnelle est favorable au gouvernement, surtout lorsque la majorité présidentielle et la majorité parlementaire coïncident. Bien que les pratiques institutionnelles interprétant les mécanismes de mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement soient légales, elles constituent une dérive du fait de leurs finalités originelles. Par ce constat, les gouvernants ont recherché un rééquilibrage institutionnel à travers des révisions constitutionnelles comme ce fut le cas lors de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Dans quelles mesures les finalités originelles des mécanismes de mise enjeu de la responsabilité politique du Gouvernement dans la Vème République ont-elles été détournées par les pratiques institutionnelles, à tel point qu’il a fallu la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 pour avoir un rééquilibrage institutionnel ?
Nous montrerons que les pratiques institutionnelles ont fait un usage détourné des finalités initiales des mécanismes de mise en jeu de la responsabilité politique du Gouvernement (I), à tel point qu’il a fallu la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 pour avoir un rééquilibrage institutionnel que a eu un succès relatif (II).
I. Les finalités originelles des mécanismes de mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement détournées par les pratiques institutionnelles
Les finalités originelles des mécanismes de mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement (A) ont été détournés par les pratiques institutionnelles (B).
A.Les finalités originelles des mécanismes de mise en jeu de la responsabilité politique du gouvernement comme concordant à la logique d’un régime parlementaire
Entre 1958 et 1962, la France est un régime parlementaire dualiste. Le régime parlementaire dualiste est un régime dans lequel le Gouvernement est politiquement responsable devant le Parlement et devant le Chef de l’État. Ce qui signifie que pour gouverner, il doit avoir la confiance du Parlement, plus exactement de la chambre basse puisqu’elle est généralement élue au suffrage universel direct, ce qui lui confère une légitimité renforcée, en France, il s’agit de l’Assemblée nationale. Pour vérifier que le Gouvernement a bien la confiance de l’Assemblée nationale.
La Constitution de 1958 a créé 3 mécanismes au sein de l’article 49 de la Constitution qui se trouve dans le titre V intitulé : Des rapports entre le Parlement et le Gouvernement. L’article 49 alinéa 1 qui dispose que « Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale ». Cet alinéa signifie que le Gouvernement demande la confiance du parlement sur la politique qu’elle compte mener. En cas d’un résultat négatif, le Gouvernement devra démissionner.
Ensuite, il y a l’article 49 alinéa 2 qui dispose que « L’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion n’est recevable que si elle est signée par un dixième au moins des membres de l’Assemblée nationale.[…] Seuls sont recensés les votes favorables à la motion de censure qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des membres composant l’Assemblée […]» . En cas de majorité absolue (ou même relative), le Gouvernement doit démissionner. Enfin, il y a l’article 49 alinéa 3 qui dispose que « Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale.
Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, […]. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. ». Ici aussi, c’est un moyen pour le Gouvernement de savoir s’il a la confiance du Parlement. S’il y a mention de censure, le Gouvernement doit également démissionner. Les alinéas 1 et 3 sont à l’initiative du Premier ministre qui engage la responsabilité du Gouvernement et l’alinéa 2 est à l’initiative des députés. Ces trois mécanismes ont pour but de vérifier si le Gouvernement a la confiance du Parlement car le Gouvernement est responsable devant le Parlement. C’est le principe même d’un régime parlementaire (ici, dualiste).
Cependant, ces mécanismes ayant pour objectif initial de mettre en jeu la responsabilité politique du Gouvernement devant le Parlement se sont transformés en affirmation du Gouvernement sur le Parlement.
B. Des usages détournés de la responsabilité politique du gouvernement ayant pour résultat l’affirmation Gouvernement sur le Parlement
Entre 1959 et 1962, sous le Gouvernement de Michel Debré, qui est un gaulliste et l’un des rédacteurs de la Constitution de la Ve République, conformément aux dispositions de l’article 49 alinéa 1 de la Constitution a engagé devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme. Il a donc respecté le texte constitutionnel et sa portée. Cependant, son successeur Georges Pompidou en a décidé autrement le 14 avril 1966. Il a ainsi déclaré que le fait que « le gouvernement procède du chef de l’État n’enlève rien aux pouvoirs que détient l’Assemblée nationale de le contrôler ni à l’obligation faite au gouvernement d’informer pleinement le parlement de la politique qu’il se propose de poursuivre. ». Il a institué une pratique selon laquelle, la déclaration de politique générale suffit.
C’est une révision constitutionnelle implicite. Selon Pierre Avril, le parlement est alors un instrument du gouvernement présidentiel qui « détermine et conduit la politique de la Nation ». Ce principe initié par Georges Pompidou est réaffirmé par Jacques Chaban-Delmas le 16 septembre 1969 (Premier ministre de 1969 à 1972). Il rappelle que la constitution ne fait pas obligation au gouvernement de demander lors de sa formation un vote de confiance. C’est un usage détourné de l’article 49 alinéa 1 confortant le Gouvernement.
Ensuite, l’article 49 alinéa 3 censé savoir si le Gouvernement a toujours la confiance du Parlement à l’occasion d’un projet ou d’une proposition de loi a été détourné par la pratique. En effet, cet alinéa a répondu à trois fonctions : faire pression sur la majorité, lutter contre l’obstruction et se substituer à l’absence de majorité. C’est presque à se demander si ce n’est pas l’Assemblée nationale qui est responsable devant le Gouvernement et que le Gouvernement est irresponsable.
Ces pratiques ont déséquilibré les institutions faisant passer l’Assemblée nationale comme un simple instrument et un appui du Gouvernement, voire comme une simple chambre d’enregistrement des volontés du gouvernement présidentiel (en période de non-cohabitation naturellement). Ainsi, la réforme constitutionnelle de 2008 est venue façonner un rééquilibrage institutionnel.
II. L’efficacité relative de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008
Cette révision constitutionnelle favorise le parlementarisme (A) qui est encore confronté à une pratique institutionnelle contraire à l’esprit de la lettre de la Constitution (B).
A.Le parlementarisme favorisé par cette révision constitutionnelle
La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République est une révision constitutionnelle qui a modifié de nombreux articles de la Constitution française, dont des articles qui favorisent le parlementarisme. Par exemple, « à l’exception des projets de révision constitutionnelle, des projets de loi de finances et des projets de loi de financement de la sécurité sociale, les discussions en séance publique portent désormais sur le texte adopté par la commission permanente saisie au fond et non plus sur la version du texte préparée par le Gouvernement (art. 42.1) ». C’est une grande avancée car les députés ont l’occasion de modifier un texte qui été préparé par le Gouvernement. C’est un acte fort qui montre que l’Assemblée nationale bien que rationalisée à la main mise sur le processus législatif.
Ensuite, le recours à la procédure de l’article 49 alinéa 3 « qui permet au Gouvernement de faire adopter un texte sans vote, est limité. Hors projet de loi de finances et projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Premier ministre ne peut engager la responsabilité du gouvernement que sur un seul texte (projet ou proposition de loi) par session parlementaire ». En d’autres termes, le recours à cette procédure n’est plus abondant, la préférence est donnée au débat législatif.
Enfin, le Parlement doit également être informé par le Gouvernement de sa décision d’envoyer des forces armées à l’étranger dans les trois jours après le début de l’intervention. Si celle-ci dépasse quatre mois, le Gouvernement doit soumettre sa prolongation à l’autorisation du Parlement en vertu de l’article 35. Désormais, le Parlement a son mot à dire dans la poursuite d’une intervention militaire. Cet article en particulier en son alinéa 3 a été utilisé plusieurs fois, notamment le 12 juillet 2011 pour la prolongation de l’opération Harmattan en Libye ou encore le 25 février 2014 pour la prolongation de l’opération Sangaris en Centrafrique. Ce sont de nouvelles dispositions en faveur du Parlement tendant à le rééquilibrer face au Gouvernement.
Par cette réforme constitutionnelle, le Parlement est plus fort symboliquement et dans sa pratique mais est toutefois confronté à une pratique institutionnelle du Gouvernement persistante.
B.Une pratique institutionnelle contraire à l’esprit de la lettre de la Constitution comme persistante
De plus cette réforme constitutionnelle a imposé le principe selon lequel « l’ordre du jour est fixé par chaque assemblée (art. 48). Le Gouvernement n’en est maître que deux semaines sur quatre (ordre du jour partagé). Une semaine est consacrée au contrôle de l’action de la politique du Gouvernement et à l’évaluation des politiques publiques, un jour de séance par mois à un ordre du jour fixé à l’initiative des groupes d’opposition et des groupes minoritaires, un jour de séance par semaine étant réservé aux questions des parlementaires et aux réponses du Gouvernement, y compris lors des sessions extraordinaires. ». Cependant comme précisé par Pierre Avril, en pratique cela pose problème car il n’y a pas assez de temps pour examiner les projets de loi du gouvernement alors le gouvernement passe par la procédure accélérée (art 45.2) qui supprime la navette parlementaire ce qui est en contradiction avec le principe du bicamérisme.
Alors qu’elle était censée être une procédure exceptionnelle, l’utilisation de la procédure accélérée tend à se banaliser, faisant perdre le caractère d’urgence qu’il était censé avoir au profit de l’accélération du temps législatif qui est lent. Les deux assemblées ont cependant juridiquement le pouvoir de s’opposer conjointement à cette accélération par décision de la Conférence des présidents. Ici encore, la pratique institutionnelle a effacé le caractère exceptionnel de la procédure accélérée. Ainsi, le processus législatif semble bafoué.