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Dans cet arrêt de cassation de la chambre commerciale de la Cour de cassation, rendu le 19 juin 2019, le contrat a été conclu avant la réforme de 2016 portée par l’ordonnance n°2016-131. Il sera donc soumis au droit ancien, portant notamment sur la bonne foi.

Deux sociétés ont conclu un contrat de concession exclusive de mobiliers de bureau. Le client, la société Diapason, assigne le fournisseur, la société Steelcase, en réparation pour manœuvre déloyales. La société Diapason étant en liquidation, le liquidateur, M. L, a repris l’instance. MM. X et R sont intervenus à l’instance pour demander réparation de leurs préjudices personnels. M. L a fait appel pour manquement de la société Steelcase à l’exécution de bonne foi du contrat. La Cour d’appel accepte la demande de M. L, et la société Steelcase se pourvoit en cassation.

La Cour d’appel a statué que la société Steelcase n’a accordé aucune facilité de paiement a son cocontractant alors que ce dernier tentait de redresser son activité, dans un contexte économique qualifié de difficile par les deux parties. De plus, la situation financière de la société Steelcase ne justifiait aucunement qu’elle refuse d’adapter le contrat à la situation financière périlleuse de son cocontractant. Qu’ainsi, la société Steelcase a manqué à son obligation contractuelle de bonne foi, et aux obligations de loyauté et de collaboration qui en découlent.

Le manquement à une exigence de bonne foi peut-elle permettre au juge de porter atteinte au contenu du contrat fixé par les parties ?

La Cour de cassation a répondu par la négative. En effet, elle casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel, déclarant que l’exigence de bonne foi n’autorise pas le juge à porter atteinte au contenu du contrat librement fixé par les parties. Ainsi, la Cour d’appel a violé l’article 1134 du code civil en vigueur avant la réforme de 2016.

Un des principes fondateur du Droit des contrats est le principe de non-immixtion du juge dans le contrat. En effet, en vertu de la liberté contractuelle, les contractants sont libres de contracter ou non, de choisir leur cocontractant, et de fixer le contenu du contrat tant qu’il ne déroge pas à la loi générale. Ainsi, afin de garantir une certaine sécurité juridique aux parties, le législateur a plus que limité les possibilités pour le juge d’intervenir dans le contrat, seules quelques exceptions législatives existent.

Ainsi, on peut se demander de quelle manière cet décision du 19 juin 2019 illustre l’exigence de bonne foi dans le contrat et ses limites.

L’exigence de bonne foi est exigée à tous les stades du contrat (I). Cependant, elle a certaines limites (II).

La bonne foi à tous les stades du contrat 

Par la réforme de 2016, le législateur retouché l’exigence de bonne foi dans le code civil, modifiant le régime qui était en place sous les anciens textes (A). Ainsi, l’exigence de bonne foi pour le créancier comme pour le débiteur a été définie (B).

L’exigence de bonne foi sous le Droit ancien

Avant la réforme de 2016, c’est l’ancien article 1134 du Code civil qui régissait la bonne foi dans le contrat. Selon cet article, la bonne foi n’était exigée qu’au stade de la formation du contrat. Cependant, la jurisprudence avait étendu cette exigence a tous les stades de vie du contrat. La bonne foi étant une notion relativement subjective, elle est dangereuse parce qu’elle confère un grand pouvoir au juge. Ainsi, malgré une certaine intensification de l’exigence de bonne foi, la jurisprudence l’avait toujours maintenue dans des limites raisonnables pour garantir la sécurité juridique. 

La bonne foi était alors simplement d’exécuter fidèlement le contrat. Mais la jurisprudence a peu à peu fait évoluer la notion, exigeant un réel devoir de loyauté voire une coopération entre les parties. Cependant, l’intensité de la bonne foi varie selon les types de contrats. Lorsque les intérêts des parties sont antagonistes, alors celle-ci est minimale. Cependant, lorsque les parties font légitimement confiance à leur cocontractant et qu’ils ont des intérêts communs, la bonne foi se transforme en véritable travail de coopération. Mais le législateur s’est refusé à traduire les différentes intensités de la bonne foi dans la réforme de 2016. En l’espèce, la société Steelcase n’a pas respecté son devoir de bonne foi puisqu’elle a refusé d’adapter le contrat à la situation économique périlleuse de son cocontractant, faisant fi des conséquences de ce refus à l’égard de la société Diapason.

Pour déterminer si les parties ont fait preuve de mauvaise foi en pratique, il a fallu donner une définition de la bonne foi (B).

La mise en pratique de la bonne foi

En pratique, la bonne foi pour le débiteur se traduit par le fait d’exécuter son obligation, mais de le faire selon les attentes légitimes du créancier. En revanche, pour le créancier, la bonne foi consiste à s’abstenir de tout comportement qui nuirait à l’exécution du contrat par le débiteur, ou du moins qui la rendrait plus difficile. Ainsi, la bonne foi n’est pas simplement de ne pas exécuter le contrat, mais peu également se traduire par une mauvaise exécution ou une exécution partielle de l’obligation. Ainsi, la bonne foi ne limite pas la force obligatoire du contrat mais la complète, en permettant une meilleure prise en compte des attentes du contractant.

En l’espèce, la Société Diapason continue d’exécuter son obligation, malgré une difficulté à le faire causée par sa situation financière. Cependant, la Société Steelcase est considérée de mauvaise foi par la Cour parce qu’en refusant d’adapter le contrat à la situation de son cocontractant, elle ne s’est pas montrée conciliante et a donc manqué à son obligation contractuelle de bonne foi et donc aux obligations de loyauté et de collaboration qui en découlent. Ainsi, il est possible de considérer que la Société Steelcase, étant le créancier de l’obligation, n’a pas respecté son obligation de bonne foi envers la Société Diapason, en ce sens qu’elle a adopté un comportement tendant à rendre l’exécution de l’obligation pour la société débitrice plus difficile, ou du moins a refusé de la faciliter.

Ainsi, la bonne foi contractuelle est protégée par le législateur. Cependant, cette exigence connait des limites, qui permettent de limiter le pouvoir du juge (II).

Les limites de l’exigence de bonne foi 

La jurisprudence a fait la distinction entre les prérogatives contractuelles et le cœur du contrat (A), restreignant une fois de plus l’effet de la mauvaise foi d’une des parties sur le contrat (B).

La distinction des prérogatives contractuelles du cœur du contrat

Dans une décision du 10 juillet 2007, dites « Les Maréchaux », la Cour de cassation a fait la distinction entre les prérogatives contractuelles et le cœur du contrat. Les prérogatives contractuelles sont des pouvoirs qui peuvent être octroyés à une partie, comme par exemple la fixation unilatérale du prix. En cas d’utilisation de mauvaise foi de ces prérogatives, le juge pourra seulement faire comme si elles n’avaient pas été utilisées. Le cœur du contrat, quant à lui, constitue les droits et obligations contenus dans le contrat, c’est-à-dire sa substance même. 

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a affirmé que le juge ne peut pas modifier le contrat au motif de la mauvaise foi d’une des parties. La sanction d’une utilisation de mauvaise foi des prérogatives contractuelles et de la substance du contrat est donc sanctionné de manière différente. En l’espèce, l’objet de la mauvaise foi de la Société Steelcase constitue effectivement le cœur du contrat : « […] modalités de paiement du prix fixé par les parties, lesquelles constituent la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties […] ». Ainsi, le juge ne pourra porter atteinte au contenu du contrat, qui a été librement fixé par les parties au stade de la formation du contrat.

Même s’il est limité, la mauvaise foi a toutefois un effet sur le contrat (B).

L’effet restreint de la mauvaise foi sur le contrat

Le juge ne peut pas modifier le contrat au motif de la mauvaise foi d’une des parties. Selon la jurisprudence, la mauvaise foi d’une des parties n’a pas d’effet sur les droits et créances contenus dans le contrat. La mauvaise foi du créancier ne le prive pas de ce qui lui est dû par le débiteur. D’après l’arrêt du 10 juillet 2007, la mauvaise foi ne permet pas au juge de réviser le contrat, la seule question qu’il doit se poser concerne la conformité de son contenu à la loi. Si le contrat n’est pas valablement formé, alors il pourra l’annuler.

Dans le cas contraire, la mauvaise foi ne peut empêcher le créancier d’obtenir ce qui lui a été promis, notamment en vertu de la force obligatoire du contrat. En l’espèce, le contrat a été valablement formé. La société Steelcase a agit de mauvaise foi en ce qui concerne les droits et obligations contenus dans le contrat, mais cela ne peut l’empêcher d’obtenir sa créance, ni permettre au juge de modifier cette dernière : « l’exigence de bonne foi n’autorise pas le juge à porter atteinte aux modalités de paiement du prix fixé par les parties, lesquelles constituent la substance même des droits et obligations légalement convenus entre les parties ». Ainsi, la mauvaise foi de la Société Steelcase portant sur les droits et créances contenus dans le contrat, le juge ne pourra ni modifier ni annuler ce contrat, et le Société Diapason est tenu d’exécuter son obligation.