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Tu es étudiant en deuxième année de licence de droit et tu peines à comprendre la notion de police administrative qui irrigue ton cours de droit administratif ?

Cet article complet et détaillé que j’ai écrit sur la thématique de la police administrative a pour objectif de répondre à toutes tes interrogations.

I. POLICE ADMINISTRATIVE ET POLICE JUDICIAIRE :

Avant toute chose, il est nécessaire d’opérer une juste distinction entre les mesures de police administrative d’une part et les mesures de police judiciaire d’autre part (elles ne sont pas de même nature).
Si leurs titulaires ne sont pas différents en ce sens qu’il n’y a pas, en France, d’un côté des agents administratifs et de l’autre des agents judiciaires, tu constateras très vite que ces mesures ne poursuivent pas le même objectif (même si les agents titulaires de prérogatives de police administrative et de mesures de police judiciaire sont les mêmes en France).

A.LE CRITÈRE DE DISTINCTION :

C’est l’arrêt de section Consort Baud rendu le 11 mai 1951 par le Conseil d’État qui a permis d’opérer la distinction entre les mesures de police judiciaire et les mesures de police administrative.
D’après cette jurisprudence emblématique de la Haute juridiction administrative une opération de police administrative vise à prévenir les éventuels troubles à l’ordre public, a contrario une mesure de police judiciaire est tournée vers la recherche d’une infraction pénale déterminée.

EXEMPLE :

Une ronde de nuit opérée par des agents de police à l’occasion d’une fête annuelle dans une ville est une mesure de police administrative en ce sens qu’elle intervient pour prévenir les éventuels troubles à l’ordre public.
Ici, dans notre exemple de ronde, il n’y a aucune recherche d’infraction pénale déterminée car les agents ont juste déployé cette mesure à titre préventif.

Hypothèse contraire, la mesure qui tend à appréhender un voleur ayant piqué dans les caisses du forain lors d’une fête est une mesure de police judiciaire car elle est tournée vers la recherche d’une infraction pénale déterminée : le vol d’argent.

B.LA MUTATION DE L’OPÉRATION :

La mutation de l’opération de police mise en oeuvre par des agents reste tout à fait possible et ne doit pas être perçue comme figée.
Par conséquent, une mesure de police administrative destinée initialement à prévenir les troubles éventuels à l’ordre public peut ainsi subir une mutation et évoluer vers une mesure de police judiciaire.
Cette hypothèse de mutation de la mesure de police administrative en mesure de police judiciaire a été consacrée par l’arrêt Demoiselle Motsch rendu le 5 décembre 1977 par le Tribunal des conflits.

En l’espèce, dans l’arrêt Demoiselle Motsch une mesure de police administrative (contrôles d’identités) s’est transformée en véritable mesure de police judiciaire lorsqu’un automobiliste s’est enfui du contrôle en franchissant un barrage tout en n’oubliant pas, au passage, de commettre quelques délits liés au Code de la route.

C.POLICE ADMINISTRATIVE GÉNÉRALE ET SPÉCIALE :

Deux polices administratives existent et doivent impérativement être dissociées : la police générale et la police spéciale.

La police administrative générale peut se définir comme la police suffisante, c’est-à-dire précisément celle qui se suffit à elle-même pour atteindre ses objectifs de maintien de l’ordre public tant matériel qu’immatériel.
Il s’agit de la police destinée à assurer la protection des trois composantes  fondamentales de l’ordre public matériel que sont la sécurité publique, la salubrité publique et la tranquillité publique.

La police administrative spéciale est celle qui est confiée à des services spécialisés (ministères) en raison de la compétence et de la spécialité de son titulaire.
C’est le cas du ministère de la Culture qui est le titulaire de la police spéciale du cinéma et qui se charge de délivrer les visas d’exploitation pour les salles de cinéma sur tout le territoire français.

D. LE CONCOURS DE POLICES :

En vertu du principe de l’indépendance des législations une mesure de police administrative générale ne peut pas entrer en conflit avec une mesure de police administrative spéciale.

En revanche, l’apparition de “circonstances locales particulières” telles décrites par l’arrêt Société Les Films Lutétia rendu le 18 décembre 1959 par le Conseil d’État permet d’affirmer qu’une mesure de police administrative générale peut venir renforcer une mesure de police administrative spécial pour répondre à un besoin local particulier.

Dans l’arrêt Lutétia le maire de Nice (titulaire du pouvoir de police administrative générale) avait adopté un arrêté municipal en vue d’interdire la projection du film controversé “Le feu dans la peau” dans les salles de sa ville.
Pour autant, ce film avait reçu un visa d’exploitation délivré par l’autorité de police administrative spéciale compétente en matière de cinéma : le ministère de la Culture.
Les circonstances locales particulières justifient cependant qu’une mesure de police administrative générale intervienne conjointement à une mesure de police administrative spéciale dans l’objectif de protéger l’ordre public local lorsque des risques particuliers d’atteintes et de troubles à l’ordre public existent.

II.LA LICÉITÉ DES MESURES DE POLICE ADMINISTRATIVE :

Dans cette seconde partie nous allons étudier un grand arrêt du droit administratif appartenant au chapitre consacré à la police administrative : l’arrêt Benjamin rendu le 19 mai 1933 par le Conseil d’État.

En l’espèce, le maire de la ville de Nevers a adopté deux arrêtés municipaux (mesures de police administrative générale) afin d’interdire la venue controversée de l’écrivain d’extrême droite Renée Benjamin.
Compte tenu des convictions politiques très souvent décriées de l’écrivain le maire n’a pas souhaité prendre de risque concernant une éventuelle atteinte à l’ordre public résultant de sa venue à Nevers.

Néanmoins, par cet illustre arrêt Benjamin rendu en 1933, la Haute juridiction de l’ordre administratif a annulé les deux arrêtés précités qui ont été à l’origine de l’impossible venue du polémiste dans la ville de Nevers, venue qui devait lui permettre d’exprimer son idéologie.

Les deux arrêtés municipaux adoptés par le maire de la ville de Nevers ont donc été déclarés illicites et illégaux par la Haute juridiction administrative, le Conseil d’Etat, au motif que ces derniers n’étaient en rien proportionnés au but poursuivi (protection de l’ordre public matériel) et d’autre part, parce qu’ils ne constituaient rien d’autre qu’une atteinte disproportionnée à la liberté de réunion de l’écrivain Monsieur René Benjamin.

A.LA RESTRICTION EST L’EXCEPTION :

Pour faire simple, ce qui ressort de la jurisprudence Benjamin (1933) c’est qu’une mesure de police administrative pour être déclarée légale/licite doit impérativement être proportionnée au but poursuivi, autrement dit elle ne doit pas porter une atteinte disproportionnée/injuste aux libertés garanties.
Le Conseil d’État tire la règle suivante : la liberté est la règle, la restriction de police l’exception.

Le maire de la ville de Nevers, selon le Conseil d’État, a excédé ses pouvoirs en adoptant cet arrêté liberticide au regard de la liberté de réunion.
Une autre mesure aurait été davantage proportionnée tout en permettant à René Benjamin de s’exprimer : mobiliser un effectif de policiers suffisant par exemple pour assurer la pérennité de l’événement.

B.LE TRIPLE TEST DE PROPORTIONNALITÉ :

Le Conseil d’État, dans son emblématique arrêt Benjamin (1933) reconnaît qu’une mesure de police administrative sera déclarée légale si et seulement si elle satisfait à l’exigence du faisceau d’indices plus communément qualifié de triple test de proportionnalité.

POUR ÊTRE LICITE UNE MESURE DOIT ÊTRE :

1- Adaptée au but poursuivi (protéger l’ordre public).

2- Nécessaire (une autre mesure moins attentatoire aux libertés n’était pas possible).

3- Proportionnée (la mesure doit le moins possible porter atteinte aux libertés publiques).

C’est tout pour cet article juridique complet consacré à la distinction que tout juriste doit être capable d’opérer entre d’une part les mesures de police administrative et d’autre part les mesures de police judiciaire ainsi que leur légalité (triple test de proportionnalité).