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Le premier alinéa de l’article 1242 du Code civil établit que l’on est tenu pour responsable des préjudices provoqués par les « choses que l’on a en garde« .

Plus concrètement, l’exercice de la garde d’une chose constitue l’un des éléments requis pour engager la responsabilité du fait des choses, au même rang que la survenance d’un dommage ou l’implication active de ladite chose.

Alors, qu’englobe réellement la notion de garde de la chose ?

Qu’est-ce que la notion de garde d’une chose ?

La notion de garde d’une chose est caractérisée par l’autorité effective qu’un individu exerce sur celle-ci.

Le gardien est la personne qui dispose de la garde matérielle de cette chose, c’est-à-dire qui en possède l’exploitation, l’orientation et la supervision.

L’exploitation correspond à la domination sur cette chose, c’est-à-dire l’utilisation de celle-ci dans son propre intérêt.

L’orientation s’apparente quant à elle au fait de déterminer l’objectif de l’utilisation de la chose.

Enfin, la supervision implique la possibilité de prévenir une utilisation défaillante de cette chose.

De ce fait, le propriétaire de la chose est généralement présumé être le gardien de celle-ci. Néanmoins, il est possible que le gardien ne soit pas le propriétaire, mais plutôt un détenteur simple (ex : en cas de vol ou d’emprunt), si celui-ci exerce les pouvoirs d’exploitation, d’orientation et de supervision sur ladite chose.

La vision matérielle de la garde d’une chose a été principalement mise en lumière par l’arrêt Franck en date du 2 décembre 1941.

La question de la garde de la chose : lumière sur l’arrêt Franck du 2 décembre 1941

Dans l’emblématique arrêt Franck, la Cour de cassation soutient que le propriétaire peut renverser la présomption de garde pesant sur lui en démontrant qu’il n’a plus l’usage, la direction et le contrôle de la chose. Il s’agit alors d’une présomption simple pour le propriétaire.

Le contexte

La nuit du 24 au 25 décembre 1929, Monsieur Franck est victime du vol de sa voiture.

Pendant cette même nuit, le voleur prend le volant de la voiture et percute mortellement un passant.

Le déroulement de l’affaire

Les héritiers de la victime portent plainte contre Monsieur Franck, propriétaire du véhicule, pour réclamer des dommages et intérêts.

En première instance, la Cour de cassation se prononce en faveur de la responsabilité de Monsieur Franck, considérant qu’en tant que propriétaire, il conserve la garde de la voiture malgré le vol (Cass. Civ. 3 mars 1936). Cette décision repose sur la notion de garde juridique de la chose: seul le pouvoir de droit importe, indépendamment du pouvoir de fait.

Cependant, la Cour d’appel de renvoi ne suit pas ce raisonnement. Elle estime que la garde du véhicule a été transférée au voleur, déchargeant ainsi Monsieur Franck de sa responsabilité (CA Besançon, 25 févr. 1937).

L’importance de l’arrêt Franck

En rendant son verdict le 2 décembre 1941, les chambres réunies de la Cour de cassation valident l’approche adoptée par la Cour d’appel de Besançon. La Cour déclare que Monsieur Franck, « ayant été privé de l’usage, de la direction et du contrôle de sa voiture, n’en avait plus la garde et n’était plus soumis à la présomption de responsabilité établie par l’article 1384, alinéa 1er, du Code civil ».

Cette décision consacre la vision matérielle de la garde de la chose : si le propriétaire n’exerce plus l’usage, la direction et le contrôle de la chose, alors il n’en a plus la garde et ne peut être tenu responsable des dommages causés par celle-ci.

En conséquence, le propriétaire a la possibilité de renverser la présomption de responsabilité s’il prouve qu’il n’est pas le gardien de la chose.

Ce raisonnement semble juste et se justifie aisément. Il serait en effet profondément injuste de maintenir la responsabilité du propriétaire alors qu’il n’était absolument pas en mesure d’empêcher le préjudice. Lorsqu’une chose est dérobée, le propriétaire ne devrait pas être contraint de payer pour les dommages causés par celle-ci!

Ainsi, avec l’arrêt Franck, on observe une renaissance de la notion de faute en tant que condition de la responsabilité du fait des choses : le propriétaire est responsable s’il a contribué à la réalisation du dommage, et exonéré dans le cas contraire.

Par conséquent, l’arrêt Franck s’oppose au mouvement d’objectivation de la responsabilité du fait des choses, incarné par les arrêts Teffaine et Jand’heur.