L’arrêt Jand’heur du 13/02/1930, rendu par la Cour de cassation, constitue une pierre angulaire en matière de droit civil, car il établit clairement les fondements de la présomption de responsabilité. Depuis cet arrêt emblématique, il n’est plus requis de commettre une faute pour être désigné comme responsable.
En effet, par cette décision, les magistrats de la plus haute juridiction française ont tranché de manière définitive une question ayant suscité d’importants débats au préalable. Désormais, le gardien d’un objet est présumé responsable de plein droit lorsque celui-ci cause un préjudice à une tierce personne. Cette présomption de responsabilité s’ancre fermement à l’article 1384 du Code civil.
Il est essentiel de se pencher sur le contexte ayant entouré l’arrêt Jand’heur pour mieux saisir son importance. Cela commence avec l’arrêt Teffaine, qui a été le premier à évoquer et admettre que la responsabilité d’une personne due au fait des choses pouvait exister même en l’absence de faute et que cette personne devait assumer les conséquences d’un dommage causé par un objet placé sous sa garde.
L’arrêt Teffaine a toutefois soulevé de nombreuses interrogations relatives au principe général de la responsabilité civile. Les questions étaient les suivantes : Comment définir précisément la notion de garde de la chose ? Qui doit-on considérer comme étant le gardien ? Quel est le champ d’application exact de l’article 1384 ?
Confronté à ces questionnements, l’arrêt Jand’heur a apporté des éclaircissements cruciaux. De ce fait, il est considéré comme l’un des arrêts emblématiques du droit de la responsabilité civile.
Avant d’explorer plus en détails les subtilités de l’arrêt Jand’heur, il est opportun de procéder à une mise au point conceptuelle. Cela permettra de mieux cerner le rôle capital qu’a joué cet arrêt dans l’évolution juridique du domaine.
Éclaircissements conceptuels sur les notions de l’arrêt Jand’heur
Afin de saisir pleinement l’arrêt Jand’heur et ses ramifications, il est essentiel de revenir aux fondements du droit de la responsabilité. Sans entrer dans les subtilités, nous traiterons brièvement ces deux concepts, puis fournirons une interprétation détaillée de l’arrêt Jand’heur en empruntant la méthodologie du commentaire d’arrêt.
Le gardien d’une chose et la garde de la chose
La jurisprudence Jand’heur et celle concernant l’ arrêt Franck (Cass. Ch. Réunies, 02 décembre 1941) constituent les décisions fondamentales qui permettent de délimiter précisément la notion de garde de la chose sur le plan juridique. Par ailleurs, c’est la jurisprudence Jand’heur qui établit le principe de la responsabilité du gardien d’une chose.
Tout d’abord, avant d’engager la responsabilité d’un gardien d’une chose, il convient de vérifier si les trois critères exigés par la jurisprudence Franck lui sont appliqués.
Ainsi, pour être considéré comme responsable de plein droit, le gardien doit avoir l’usage, la direction et le contrôle de la chose. Si l’un de ces conditions ne lui est pas applicable, il ne pourra être qualifié de gardien d’une chose.
De plus, il n’est pas indispensable que le gardien de la chose en soit le propriétaire. Un simple détenteur, à qui les trois conditions sont applicables au moment du sinistre, sera considéré comme gardien. Ensuite, étant donné qu’il s’agit d’une responsabilité objective, les juges ne doivent pas déterminer si le gardien est mineur ou majeur au cours des événements.
Qu’il soit un simple commettant ou qu’il possède un discernement, tant que les trois conditions sont réunies, la responsabilité du gardien peut être mise en cause. C’est la conclusion de la chambre civile de la Cour de cassation.
En ce qui concerne la garde de la chose, la jurisprudence ne fait pas de distinction entre un objet défectueux ou comportant un vice de fabrication. Dès lors qu’il est sous la garde d’un individu, c’est cette personne qui doit assumer les dommages causés à autrui.
Le principe général de la responsabilité du fait des choses
Grâce aux conclusions tirées de l’arrêt Jand’heur, il repose sur le gardien d’une chose une responsabilité de plein droit. En clair, il s’agit d’une présomption de responsabilité. Dès lors qu’il est possible d’établir un lien de causalité entre une chose sous la garde d’une personne et un préjudice provoqué à autrui, les juges sont en mesure d’appliquer le principe général de la responsabilité du fait des choses.
Il est nettement observé qu’il ne s’agit pas d’une présomption de faute. En effet, en cas de responsabilité pour faute, c’est à la victime de rassembler les preuves permettant aux juges de condamner l’auteur du dommage. Celui-ci peut tenter de s’exonérer de sa responsabilité en prouvant le fait d’autrui ou en démontrant l’absence de lien de causalité entre ses actes et le préjudice subi.
Par exemple, en apportant la preuve que des matières dangereuses ont engendré le dommage. Cependant, cela relève du champ de la responsabilité du fait personnel et non de la responsabilité du fait des choses. L’exonération de la responsabilité du gardien ne peut découler que d’une force majeure, même si le fait générateur dépend de lui.
Après ces éclaircissements essentiels, examinons maintenant l’arrêt Jand’heur en détail.
Zoom sur les faits de l’arrêt Jand’heur :
Dans cette triste affaire, une jeune fille prénommée Lise Jand’heur a subi un accident de la circulation, laissant des séquelles douloureuses. La cause du préjudice provient d’un camion appartenant à l’entreprise « Les Galeries Belfortaises », qui l’a percutée alors que l’innocente adolescente traversait la chaussée. Les blessures subies par la petite Lise Jand’heur sont directement liées à cet incident malheureux.
Examinons de plus près les faits en nous appuyant sur l’arrêt Desmares du 21 juillet 1982, qui établit le fondement principal de cette affaire. Deux éléments cruciaux sont à noter : tout d’abord, la jeune victime était encore mineure lors de l’accident. Ensuite, le camion incriminé était un véhicule motorisé, dont la conduite était assurée par un chauffeur qui en avait le plein contrôle.
L’affaire Jand’heur : les démarches juridiques et les revendications des partis
En effet, c’est la mère de Lise Jand’heur qui initia la procédure, en sollicitant les tribunaux et en réclamant une compensation pour le préjudice corporel subi par sa fille. Selon elle, la responsabilité du chauffeur du camion devait inéluctablement être engagée, que ce soit pour un acte personnel ou pour une négligence de sa part.
Devant la Cour d’appel
Au sein de la Cour d’appel de Besançon, la plaignante s’appuyait sur l’article 1384 du Code civil pour exiger une réparation de l’auteur de l’accident au profit de sa fille. Rappelons que cet article établit une présomption de responsabilité pesant sur quiconque ayant la garde d’un objet inanimé qui aurait provoqué un dommage.
Les revendications de la plaignante étaient ainsi formulées : le camion se trouvait sous la garde du chauffeur, et l’accident avait occasionné un préjudice corporel à la victime, qui était sa fille. Par conséquent, la responsabilité du fait des choses était applicable, et la déduction du préjudice devait être imputée au chauffeur.
Les magistrats du fond ne partageaient pas l’opinion de la plaignante. Tout d’abord, pour eux, le camion constituait un engin actionné par la main d’un homme et ne relevait donc pas de la catégorie des choses sous la garde d’un individu. De plus, aucune faute manifeste ne pouvait être reprochée au chauffeur.
Ne pouvant mettre en cause la responsabilité du chauffeur sans faute, les magistrats du fond ont écarté le recours en appel de la plaignante. Pour obtenir réparation du préjudice corporel subi, la victime devait apporter la preuve de la faute du chauffeur. La mère, insatisfaite par la réponse des juges d’appel, a alors introduit un pourvoi en cassation.
Devant la Cour de cassation
Bien que réunis en première chambre civile de la Cour de cassation, les juges ont formulé un avis divergent de celui des magistrats du fond. L’arrêt infirmé rendu en appel a donc été cassé.
Selon la Cour de cassation, l’affaire devait être étudiée à la lumière de l’article 1384. Même en l’absence de faute commise par le chauffeur, celui-ci était présumé responsable du dommage. Après cette clarification, les juges de la Cour de cassation ont renvoyé l’affaire devant une autre cour d’appel pour un nouvel examen.
Devant la Cour d’appel de renvoi
Même avec la décision de la Cour de cassation, la Cour d’appel de renvoi n’a pas adopté la position des juges cassateurs. Pour les juges de renvoi, il restait possible d’invoquer l’article 1382 pour déterminer la responsabilité du chauffeur sur la base d’une faute.
Les magistrats exigeaient alors de la plaignante qu’elle fournisse la preuve d’une faute ou d’une défaillance du chauffeur afin d’établir sa responsabilité. Insatisfaite à nouveau par l’argumentation de la Cour d’appel de renvoi, la mère a porté l’affaire une fois de plus devant la plus haute juridiction.
Devant la Cour de cassation, à nouveau
En définitive, l’affaire Jand’heur a été tranchée en assemblée plénière par la Cour de cassation. Les chambres réunies ont alors donné raison à la victime et ont rendu le chauffeur responsable des dommages subis par celle-ci. La décision de la Cour d’appel de renvoi a ainsi été annulée et cassée par l’ensemble des chambres de la Cour de cassation.
Quelle problématique juridique soulève l’arrêt Jand’heur ?
La Cour de cassation se trouvait face à une interrogation cruciale : selon l’article 1384 du Code civil, était-il obligatoire de commettre une faute pour être considéré responsable ?
De plus, s’interrogeait-elle, la responsabilité du fait des choses inanimées s’étendait-elle aux dégâts provoqués par des dispositifs manœuvrés par l’intervention humaine ?
Afin de trancher cette problématique, il devenait primordial de caractériser si l’incident en question devait être appréhendé comme un fait des choses, ou bien comme une faute imputable à un individu.
LA CLÉ DE L’ARRÊT JAND’HEUR
Le 21 février 1927, les magistrats de la Cour de cassation se sont réunis pour répondre à une interrogation cruciale : la responsabilité du fait des choses s’étendait-elle aux dommages causés par un véhicule actionné par son conducteur ?
Leur réponse fut claire : la responsabilité du fait des choses englobait effectivement les préjudices engendrés par un camion manœuvré par un individu. L’argument principal, avancé par les hauts magistrats, résidait dans le fait que l’article 1384 du Code civil ne précisait nullement de distinction entre les objets animés de manière autonome ou non.
Il en découlait que cet article impliquait une présomption de responsabilité générale, et ce, quels que soient les modalités de mouvements de l’appareil en question. Dès lors, même si la responsabilité du fait d’autrui de l’article 1242 du Code civil ne pouvait être imputée ou si la faute du conducteur ne paraissait pas manifeste compte tenu des circonstances, l’article 1384 rendait responsable de l’accident l’individu ayant eu la garde du véhicule.
De surcroît, et de manière explicite, la Cour de cassation rappelait ne pas utiliser l’ancien article 1382 du Code civil pour établir les fondements de cet arrêt, mais bel et bien l’article 1384.
En conséquence, selon les précepts posés par l’article 1384 du Code civil, il suffisait, d’après la Cour, d’être reconnu comme gardien d’un objet ayant provoqué un dommage à un tiers pour être tenu responsable, sans qu’il soit nécessaire d’établir une faute.
LA PORTÉE DE L’ARRÊT JAND’HEUR : UN POINT DE BASCULE DANS LE DROIT DE LA RESPONSABILITÉ
Le bouleversement majeur qu’a suscité l’arrêt Jand’heur en matière de droit de la responsabilité civile tient à ce qu’il a établi les fondements du principe concernant la responsabilité du fait des choses inanimées.
L’arrêt Jand’heur a apporté des réponses à une interrogation essentielle : De quelle manière le gardien d’une chose peut-il se libérer de sa responsabilité ? Grâce à cet arrêt précis, on saisit ceci : Le gardien d’un objet ne saurait évoquer ni son imprudence, ni sa négligence pour échapper à sa responsabilité. De la même manière, il ne saurait se fonder sur l’absence de faute pour se soustraire à cette dernière.
Grâce aux contributions majeures de l’arrêt de principe, tel l’arrêt Jand’heur, une responsabilité de plein droit pèse désormais sur les épaules du gardien d’un objet. La seule façon d’atteindre une possible exonération consiste alors à démontrer que la survenance du préjudice résulte d’une cause extérieure.
Il convient à ce stade de clarifier certaines notions essentielles.
Qu’est-ce que la responsabilité de plein droit ?
Le concept de responsabilité de plein droit renvoie à l’idée qu’il n’est pas nécessaire de rechercher la faute, la transgression d’une norme ou un comportement délictueux pour engager la responsabilité d’un individu. La notion de responsabilité de plein droit s’applique fréquemment dans le contexte des dommages causés par un bien sous la garde d’une personne sans qu’aucun acte fautif ne soit imputable à celle-ci.
Que comprend-on sous l’expression de cause étrangère ?
Concernant la cause étrangère, les magistrats de la Cour de cassation l’ont explicitée au sein de l’arrêt Jand’heur. Elle apparaît généralement en droit des obligations à travers trois dimensions résumées dans le schéma ci-dessous :
De ce fait, hormis la cause étrangère, aucune autre raison ne peut désormais exonérer le gardien d’un objet de sa responsabilité. Par ailleurs, comme mentionné en amont, cette cause étrangère doit respecter les critères relatifs aux situations de force majeure pour être acceptée par la Cour de cassation ou toute autre instance juridictionnelle civile.
Examen approfondi de l’arrêt Jand’heur
L’arrêt Jand’heur a instauré un bouleversement considérable dans le domaine du droit commun de la responsabilité civile. Initialement, la doctrine avait restreint le périmètre d’application du régime de responsabilité lié au fait des choses.
Pourtant, au gré de plusieurs décisions jurisprudentielles, dont celle de l’arrêt Jand’heur, les cours et tribunaux ont progressivement étendu le champ de la responsabilité du fait des choses.
Suite à l’irruption de l’arrêt Teffaine dans le paysage juridique, la problématique cruciale persistante résolue par l’arrêt Jand’heur concernait les frontières de l’article 1384 du Code civil. Fallait-il nécessairement commettre une faute pour être tenu responsable ? La Cour a tranché en la défaveur de cette assertion.
Il convient néanmoins de souligner que pour activer le régime général de responsabilité du fait des choses, il ne suffit pas simplement d’évoquer ladite chose. Il est également impératif que cette dernière ait concouru à un dommage. Cela peut prendre la forme de préjudices corporels ou de toute autre catégorie de dommage. Cependant, il est essentiel que la chose en cause ait contribué de manière exclusive et sans l’intervention d’une cause extérieure.