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Qui n’a jamais entendu parler de l’arrêt Poussin (Cass. Civ. 1ère, 22 février 1978, n° 76-11.551) ? C’est sans nul doute l’un des arrêts les plus célèbres en droit des contrats, mettant en lumière l’appréciation de l’erreur en tant que vice du consentement.

De nos jours, l’article 1132 du Code civil nous indique clairement que « l’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant ». Auparavant, avant la fameuse réforme du droit des contrats, l’article 1110 du Code civil précisait que « l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet ».

Il va sans dire que pour provoquer la nullité du contrat, l’erreur doit bel et bien concerner la substance ou les qualités essentielles de la prestation. Néanmoins, la question du doute dans l’existence de l’erreur reste en suspens, puisque les dispositions législatives n’en font pas mention. Autrement dit, doit-on établir l’erreur avec certitude pour qu’elle constitue un vice du consentement ? Ou bien est-il suffisant qu’il y ait une discordance entre ce que le contractant pensait et ce que pourrait être la réalité ?

Eh bien, c’est à cette interrogation que l’arrêt Poussin apporte sa réponse, ô combien éclairante !

Le mystère de l’affaire Poussin

Imaginez la scène : un tableau, que l’on croyait être de l’« École des Carrache », se retrouve mis aux enchères par son propriétaire – Rien de bien folichon jusque-là. Et voilà que la Réunion des Musées Nationaux (ou RMN pour les intimes), une institution publique ayant un statut industriel et commercial, entre en jeu. Elle décide d’user de son droit de préemption, hérité de la loi, pour mettre la main sur cette œuvre d’art. Ni une, ni deux, le tableau fait son entrée triomphale au musée du Louvre, sous l’identité d’une création authentique du célébrissime peintre Nicolas Poussin.

Alors, quel est donc le hic ? Eh bien, il s’avère que pour le vendeur, il n’y avait pas l’ombre d’un doute : ce tableau n’était pas un Poussin ! D’ailleurs, un expert lui avait confirmé cette observation auparavant. Du coup, notre vendeur est en plein émoi et décide de lancer une requête pour annuler la vente, invoquant une erreur sur la substance de la chose vendue.

Un véritable imbroglio artistique en somme !

En plein cœur de l’affaire

Imaginez la scène : le 2 février 1976, la Cour d’appel de Paris lâche sa décision comme un coup de tonnerre. Notre protagoniste, le vendeur, se fait gentiment refouler par les juges. Pourquoi, me direz-vous ? Eh bien, le hic, c’est que personne n’a démontré avec certitude que le tableau au centre de toute cette agitation était bel et bien l’œuvre du célèbre Nicolas Poussin ! Du coup, l’erreur dont se plaint notre ami n’est tout simplement pas fondée, argumentent-ils.

Et, cerise sur le gâteau, le vendeur ne peut pas invoquer l’ancien article 1110 du Code civil pour annuler la vente, qui avait pour objet un tableau dont l’authenticité n’est pas prouvée.

Si on résume un peu, il aurait fallu que le vendeur arrive à convaincre la Cour que, oui, ce fameux tableau était vraiment un Poussin de derrière les fagots. Là, seulement, l’erreur aurait été reconnue, et hop, la vente annulée. Voilà la logique de la Cour d’appel.

Mais le vendeur, pas décidé à baisser les bras, se lance dans un ultime recours : direction la cour de cassation !

Le nœud du problème juridique

Alors voilà, il n’était qu’éventuellement question que ce fameux tableau soit bel et bien un Poussin. Du coup, on n’était pas vraiment sûr de l’authenticité de la toile, et on ne pouvait pas non plus déterminer si le vendeur avait fait une bourde ou non.

Mais, soyons clairs, y a quand même un sacré écart entre ce que le vendeur croyait et la réalité des faits. Le bonhomme était convaincu que ce n’était pas un Poussin, ça c’est clair. Par contre, si on lui avait dit que ça aurait pu être un vrai Poussin, ça l’aurait fait réfléchir et il aurait sûrement revu le prix à la hausse. Bref, il n’aurait probablement pas laissé partir sa toile aux mêmes conditions.

Face à ce casse-tête, la Cour de cassation a dû se creuser les méninges pour répondre à cette question : est-ce que, pour constituer un vice du consentement, l’erreur doit être prouvée à coup sûr ? Ou bien, y a-t-il bel et bien une erreur dès lors qu’il y a simplement un décalage entre ce qu’un contractant croyait et ce que la réalité pourrait être ?

Voilà le dilemme que les juges ont eu à résoudre !

Plongée dans l’arrêt Poussin du 22 février 1978 : une leçon de droit

Brrr ! Le 22 février 1978 : une date qui évoque un froid glacial et… l’arrêt Poussin de la Cour de cassation. Ce jour-là, la Cour tranche une question délicate de droit en soulignant en substance : « qu’en statuant ainsi, sans rechercher si, au moment de la vente, le consentement des vendeurs n’avait pas été vicié par leur conviction erronée que le tableau ne pouvait pas être une œuvre de Nicolas Poussin, la Cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ». Résultat : elle casse et annule l’arrêt rendu le 2 février 1976 par la Cour d’appel de Paris.

Alors, concrètement, qu’est-ce que ça veut dire ? Et bien, l’erreur sur la substance de l’ancien article 1110 du Code civil n’est pas exclusive du doute qui plane sur l’attribution de l’œuvre. Autrement dit, inutile d’établir l’authenticité du tableau avec une certitude gravée dans le marbre pour pouvoir considérer l’erreur comme un vice du consentement. Il suffit juste qu’il existe un écart entre les croyances du vendeur au moment de sceller le contrat et ce que l’on découvre après coup. En d’autres termes, si le tableau pourrait bien être attribué à Poussin, alors on considère qu’il y a bien erreur de la part du vendeur.

Belle pirouette, non ? Mais ce n’est pas tout ! Dans cette affaire, on peut noter que l’erreur du vendeur ne s’applique pas à la prestation de son cocontractant, mais à sa propre prestation : en clair, le vendeur s’est trompé sur la chose vendue. Or, bien souvent, l’erreur survient quand un contractant est en porte à faux sur la prestation de l’autre partie, comme dans un contrat de vente où c’est normalement l’acheteur qui se méprend sur la chose vendue. Ce faisant, son erreur porte alors sur la prestation de son cocontractant. Mais il n’est pas interdit de se tromper sur sa propre prestation, et ça, l’arrêt Poussin nous le confirme bel et bien.

Et si vous vous demandez si cette solution tient encore la route aujourd’hui, sachez que la réponse est oui ! Elle est désormais codifiée : l’article 1133 alinéa 2 du Code civil stipule que « l’erreur est une cause de nullité qu’elle porte sur la prestation de l’une ou de l’autre partie ». Voilà qui est clair, non ?

Zoom sur l’arrêt Poussin du 22 février 1978 et son impact

Alors, figurez-vous que l’affaire Poussin ne s’est pas arrêtée là, après ce fameux arrêt du 22 février 1978. En effet, un second arrêt Poussin a été rendu par la Cour de cassation le 13 décembre 1983 (Cass. Civ. 1ère, n° 82-12.237), confirmant la position prise quelques années plus tôt. Et pour préciser les choses, la Cour a souligné que les vendeurs avaient bien « le droit d’utiliser des éléments d’appréciation postérieurs à la vente pour mettre en évidence une erreur de leur part au moment de la transaction ».

Même si la jurisprudence Poussin n’a pas été intégrée dans la réforme du droit des contrats, on peut affirmer sans se tromper qu’elle reste d’actualité concernant les doutes sur une qualité essentielle de la prestation.

Mais attention, l’erreur ne sera pas considérée comme un vice du consentement à chaque fois qu’il y a un doute. Si ce doute fait partie intégrante du contrat, si le contractant a accepté l’incertitude concernant une qualité essentielle de la prestation, alors il ne pourra pas demander la nullité du contrat si ce qu’il pensait se révèle vrai après la conclusion de celui-ci.

Par exemple, lorsque « l’attribution » d’un tableau à un peintre célèbre est en jeu, et que l’authenticité du tableau est établie après la vente, le vendeur ne peut invoquer une erreur constitutive d’un vice du consentement (Cass. Civ. 1ère, 24 mars 1987, Fragonard). En effet, la vente se faisant sur « l’attribution » du tableau au peintre célèbre, le vendeur avait nécessairement accepté le risque que l’œuvre soit authentifiée par la suite. De ce fait, son ressenti et la réalité ne présentent pas de divergence. Le doute faisait partie du contrat dès le départ.

Donc, pour résumer, si le doute apparaît après la conclusion du contrat et n’est pas inhérent à celui-ci, le contractant peut demander la nullité du contrat pour erreur, comme le montre l’arrêt Poussin. Mais si le doute est déjà présent au moment de la conclusion du contrat, alors le contractant ne peut pas demander la nullité pour erreur – c’est ce qu’illustre l’arrêt Fragonard.

Et pour finir, cette approche est actuellement reprise dans l’article 1133 alinéa 3 du Code civil, qui stipule que « l’acceptation d’un aléa sur une qualité de la prestation exclut l’erreur relative à cette qualité ».