I. L’ARRÊT SOCIÉTÉ LES FILMS LUTÉTIA
L’arrêt Société Les Films Lutétia a été rendu le 18 décembre 1959 par la Haute juridiction de l’ordre administratif, le Conseil d’État.
Cet arrêt est relatif à la notion de l’ordre public matériel ainsi qu’à ses différentes composantes.
QUELS SONT LES FAITS ?
Le film “Le feu dans la peau” s’est vu délivré un certificat d’exploitation de la part de la police administrative spéciale compétente dans le domaine du cinéma : le ministre de la Culture.
Néanmoins, au niveau local ce film semble présenter quelques problèmes compte tenu des scènes violentes qu’il contient.
Sans oublier qu’au niveau local le risque de trouble à l’ordre public est élevé selon le maire de Nice.
Ce dernier s’avère très inquiet de la diffusion certaine de ce film et décide d’adopter un arrêté municipal dans l’objectif d’interdire ce film dans les salles de cinéma de Nice.
Le maire décide d’adopter cet arrêté anti-diffusion malgré l’approbation que “le feu dans la peau” a reçu de la part du ministère de la Culture au niveau national.
QUELLE EST LA PROCÉDURE ?
La Société Les Films Lutétia a décidé de former une action en justice en saisissant le tribunal administratif de Nice pour invalider l’arrêté municipal prohibant la diffusion du film.
Le jugement rendu le 11 juillet 1955 déboute la Société Les Films Lutétia de sa requête.
Elle décide alors de saisir le Conseil d’État pour les mêmes motifs : déclarer l’illégalité de l’arrêté municipal du maire de Nice.
QUELLES SONT LES PRÉTENTIONS DES PARTIES ?
La Société Les Films Lutétia (demandeur) invoque l’illégalité de l’arrêté municipal en prétendant que la diffusion du film ne peut pas être refusée à l’échelon local si cette dernière a été approuvée au niveau national.
Le maire de Nice soutient que les scènes de violence du film “Le feu dans la peau” sont hostiles au climat local qui règne dans sa ville.
Il soutient que l’adoption de son arrêté municipal est indispensable pour prévenir tout risque de trouble à l’ordre public.
Troubles à l’ordre public dont la survenue est probable en cas de projection du film et des circonstances locales de Nice.
QUEL EST LE PROBLÈME DE DROIT ?
Le problème de droit posé au Conseil d’État :
La diffusion d’un film ayant reçu un visa d’exploitation au niveau national peut-elle être interdite en raison de circonstances locales faisant craindre un risque de troubles à l’ordre public?
QUELLE EST LA SOLUTION DU CONSEIL D’ÉTAT ?
Le Conseil d’État dans son arrêt Société Les Films Lutétia du 18 décembre 1959 répond par l’affirmative en rejetant le pourvoi formé par la Société.
La Haute juridiction administrative considère que l’arrêté municipal édicté par le maire de Nice au titre de ses compétences de police administrative générale est parfaitement légal.
Le maire a adopté cet acte dans l’unique objectif de prévenir les risques de troubles à l’ordre public.
LE POINT ESSENTIEL DE L’ARRÊT :
Par cet arrêt le Conseil d’État consacre plusieurs grands principes du droit administratif comme l’existence de la moralité publique (II) et le concours de polices administratives (III).
II. LA PROTECTION DE LA MORALITÉ PUBLIQUE :
La moralité publique devient officiellement une composante de l’ordre public matériel au côté de la salubrité et de la tranquillité publique.
Chaque titulaire du pouvoir de police administrative doit assurer le respect et la sauvegarde de cet ordre public.
En l’espèce, le maire de Nice avait souligné lors de l’adoption de son arrêté et devant le Conseil d’État que la projection du film était susceptible de porter atteinte à la moralité publique.
D’où son intervention pour annuler sa diffusion à l’échelle locale.
En conséquence, il est impossible de nier le fait que le maire de Nice a utilisé ses pouvoirs dans l’unique objectif de préserver la paix sociale dans sa ville.
III. LE CONCOURS DE POLICES :
Cet arrêt rendu le 18 décembre 1959 est emblématique en ce sens qu’il consacre la notion de concours de polices administratives.
Le concours de polices c’est lorsque deux pouvoirs de polices vont entrer en rivalité pour régir une seule et même situation.
En l’espèce, le ministre de la Culture au titre de ses prérogatives de police administrative spéciale a délivré l’autorisation officielle de projeter ce film dans les salles de cinéma françaises.
Le maire, quant à lui, a fait usage de ses compétences de police administrative générale pour interdire la diffusion du film en invoquant la protection de la moralité publique.
En raison de l’existence de circonstances locales particulières le Conseil d’État lui a donné raison.
Oui, deux pouvoirs de polices peuvent entrer en concurrence s’il s’agit d’une police administrative générale et spéciale.
En revanche deux polices administratives spéciales ne peuvent jamais entrer en rivalité.
De même pour deux pouvoirs de police administrative générales, pouvoirs qui ne peuvent jamais entrer en rivalité/conflit en raison du principe de l’indépendance des législations.
C’est tout pour cet article juridique consacré à l’étude de la jurisprudence Société Les Films Lutétia rendue par le Conseil d’Etat le 18 décembre 1959.